Monsieur le Président de la République,
Monsieur Emmanuel MACRON,
La crise sanitaire du Covid-19 ne
faiblit pas. La pandémie du nouveau coronavirus a déjà fait des dizaines
de milliers de morts dans le monde depuis son apparition en décembre en
Chine. Près de 800 000 cas d'infection ont été officiellement
diagnostiqués dans 188 pays et territoires depuis le début de
l'épidémie. L’épicentre s’est concentré sur l’Europe.
Notre pays est particulièrement touché et le nombre de personnes
contaminées ne cesse de s’accentuer. Beaucoup d’hôpitaux sont désormais
submergés par l’arrivée de nouveaux malades nécessitant des soins
intensifs et longs. L’ensemble des personnels soignants ainsi que ceux
des secteurs du soin à domicile, dans les maisons de retraite font face,
attachés à leur mission de service public, mais force est de constater
que leurs conditions d’exercice pose question. En effet, les commandes
de masques, de matériel médical, voire de médicaments ou les tests
annoncés par votre gouvernement tardent à se concrétiser.
Face à cette situation d’urgence, nous souhaitons vous rappeler les
mesures indispensables à prendre le plus rapidement possible.
La priorité de votre gouvernement doit être, avant tout, de garantir la
stricte protection de tous les salariés qui, assurant des activités
essentielles dans le secteur public et privé, doivent continuer à
travailler. Ainsi, il est de votre responsabilité de veiller à ce que
tout salarié puisse exercer son droit de retrait en l’absence de
protection ou face à un danger grave et imminent. C’est d’ailleurs le
sens du préavis de grève dans les services publics, afin de protéger les
personnels travaillant dans des collectivités où les règles ne sont pas
appliquées, tout comme dans les autres secteurs. D’autre part, les
codes de bonnes pratiques même unanimes, sont remis en cause ou
restreints par les ministères comme c’est le cas dans le BTP.
De nombreux salariés sont déjà contaminés, malades voire décédés parce
qu’exposés au virus sur leur lieu de travail. Cela pose, dès maintenant,
la question de la réparation et ainsi du classement automatique en
maladie professionnelle pour les soignants, bien entendu, mais aussi
pour tous les travailleurs.
En parallèle, il est maintenant tout à fait urgent de procéder à la
définition des activités essentielles et à la fermeture immédiate de
celles ne contribuant pas aux besoins vitaux.
Nous voulons d’ailleurs vous réaffirmer notre opposition aux mesures
dérogatoires au Code du travail dans les domaines du temps de travail.
L’ordonnance prévoyait qu’un décret viendrait préciser les secteurs dans
lesquels elle s’appliquerait. À ce jour, aucun décret n’est paru, nous
considérons donc qu’aucune dérogation ne peut s’appliquer. L’abrogation
immédiate de ces ordonnances qui organisent de manière scandaleuse la
déréglementation du travail est ainsi à l’ordre du jour.
Le confinement reste selon les experts scientifiques ou les médecins, le
moyen le plus efficace pour lutter contre le Covid-19. L’arrêt des
activités non essentielles comme cela vient d’être fait en Italie ou en
Espagne permettrait par ailleurs de libérer des protections comme des
masques et gants pour ceux qui en ont besoin. À noter le communiqué de
l’Amuf (médecins urgentistes) qui va dans ce sens. Par contre,
l’évolution de la production pour produire des protections et la reprise
d’activité pour des entreprises fermées, comme Luxfer pour la
production de bouteilles à oxygène, ou menacées, comme la papeterie de
la Chapelle Darblay pour la production de masques, par un financement
public est essentiel. Votre ministre de l’Économie a bien parlé de
possibles nationalisations.
Nous avons défini une liste d’activités essentielles et nous sommes disponibles pour en discuter avec le gouvernement.
Face à cette pandémie mondiale, nous réitérons notre demande que vous
déclariez l’état de catastrophe sanitaire afin de mettre à contribution,
par exemple, les assurances et permettre le paiement du chômage partiel
à 100 %.
La situation que nous vivons exige que l’ensemble des entreprises
contribuent à la solidarité de la Nation, c’est pourquoi vous devez
imposer pour toutes, la suppression des dividendes aux actionnaires.
Pour le moment votre ministre de l’Économie s’est contenté d’une simple
déclaration pour demander aux entreprises qui reçoivent des aides
publiques de ne pas verser de dividendes. Nous avons l’expérience de la
crise financière de 2008 et cela n’a pas fonctionné, c’est très
insuffisant ! Il n’est pas utile de vous rappeler, que récemment encore,
les sociétés du CAC 40 s’apprêtaient à verser à leurs actionnaires
54,3 milliards d’euros, soit 5,9 % de plus qu’en 2019. Vous conviendrez
que cela constitue un record historique. C’est avant tout une question
de décence, de justice et de solidarité nationale !
Il va sans dire qu’un contrôle des aides publiques aux entreprises doit
être garanti et une attention particulière doit être portée aux
conséquences en matière d’emploi qui pourraient toucher les salariés
notamment dans les petites et moyennes entreprises, les secteurs de
l’économie sociale et solidaire et plus largement dans tous les secteurs
d’activités et cela en lien avec les organisations syndicales
représentatives.
Vous devez prendre, dans la période, une mesure d’interdiction de
tous les licenciements pour quelques motifs que ce soient et la
suspension immédiate de tous les PSE ou plans de restructuration
d’entreprise.
Vous devez porter une attention particulière sur la situation des plus
fragiles et ainsi prendre des décisions immédiates en direction des
chômeurs, travailleurs précaires, intérimaires ou saisonniers,
travailleurs des plateformes (...) et prendre des mesures de protection
sociale étendues.
En cette période, les salariés ont plus que jamais besoin de leur
syndicat à leurs côtés, c’est pourquoi nous tenons à vous rappeler
l’engagement pris par votre ministre de l’Intérieur, d’élaborer une
autorisation spécifique et nationale pour permettre à tous les élus et
mandatés de circuler librement et d’intervenir dans les entreprises ou
les services. Cette promesse n’est, à ce jour, encore une fois pas
honorée.
Les travailleurs paient un lourd tribut y compris financièrement dans
cette crise sanitaire. Beaucoup de voix s’élèvent fortement pour dire
que nombre de métiers en première ligne, que ce soit dans
l’agroalimentaire, le commerce, l’aide à la personne, les soins ou le
médicosocial, les services de ramassage des déchets (...) ne sont pas
payés correctement et reconnus dans leur travail, alors que ce sont bien
eux les « premiers de cordée ». Beaucoup découvrent leur bulletin de
salaire avec des pertes de rémunération substantielles, notamment liées à
la disparition des parts variables de rémunération (primes diverses,
calcul à partir des forfaits jour, etc.). C’est donc de votre
responsabilité de demander à votre ministre du Travail de procéder à une
augmentation immédiate du SMIC qui devra se répercuter sur l’échelle
des salaires. L’augmentation significative du point d’indice dans la
fonction publique doit être un engagement de votre gouvernement.
Nous exigeons également, au-delà d’un paiement à 100 % du chômage
partiel, le maintien des cotisations sociales, permettant l’accès de
tous à la protection sociale complémentaire (santé et prévoyance).
Enfin, le monde est totalement bouleversé par cette crise et rien ne
sera plus comme avant quand nous en serons sortis. Gouverner c’est
prévoir et votre gestion de la pandémie n’en a pas fait une
démonstration convaincante. Il y a donc un besoin urgent de faire avec
les organisations syndicales, un bilan sur les changements radicaux de
politique à opérer dans de nombreux domaines économiques et sociaux.
La CGT porte des propositions pour transformer cette société autour de
valeurs de progrès social, de solidarité et de sécurité, tant
professionnelles qu’environnementales.
La CGT revendique ainsi la mise en place d'une « sécurité sociale
professionnelle » pour tous afin qu'aucun salarié, tous statuts
confondus, ne subisse plus de rupture dans ses droits, dans la
reconnaissance de ses qualifications et de ses acquis par l'expérience.
Il faut mettre en place une Sécurité sociale intégrale, un 100 % Sécu
sur la base du salaire socialisé, fondée sur les principes fondateurs de
la Sécurité sociale, que sont la solidarité et l'universalité, en
intégrant de nouveaux besoins non encore couverts et adaptés aux
nouvelles formes du travail.
Il s’agit de répondre aux besoins fondamentaux, sur le principe de
« bien commun universel », de revalorisation du travail, de préservation
de l’environnement et de l’anticipation des transitions nécessaires
pour que l’activité humaine ne porte pas atteinte à l’avenir de la
planète. Cela suppose aussi qu’une autre économie et qu’une autre façon
de consommer émergent.
Dix-huit organisations syndicales ou associatives ont publié une tribune pour anticiper et bâtir le « jour d’après ».
Nous vous en livrons quelques pistes :
- relocalisation des activités, dans l’industrie, dans
l’agriculture et les services, permettant d’instaurer une meilleure
autonomie face aux marchés internationaux et de reprendre le contrôle
sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et
sociale des activités ;
- réorientation des systèmes productifs, agricoles, industriels et de
services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de
satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le
rétablissement des grands équilibres écologiques ;
- établissement de soutiens financiers massifs vers les services
publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle leur état
désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services
aux personnes dépendantes...
- une remise à plat des règles fiscales internationales afin de
lutter efficacement contre l’évasion fiscale est nécessaire et les plus
aisés devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du
patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive.
Nous sommes convaincus que ces réorientations majeures sont
indispensables pour bâtir une société juste, solidaire et durable dans
les domaines économiques, sociaux et écologiques.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de mes respectueuses salutations.
Philippe MARTINEZ
Secrétaire général de la CGT